Ngaoundéré: 43 médecins à l’école du traitement des fractures.
Ils suivent depuis le 8 octobre 2024, un cours sur les principes du traitement non opératoire des membres les plus courantes. Organisé par l’Association Camerounaise pour l’Ostéosynthèse, cette formation vise à harmoniser les protocoles de traitement.
Les traumatismes liés aux accidents de la route, aux chutes diverses, font chaque jour, de nombreuses victimes. Ces traumatismes causés par les accidents conduisent très souvent les victimes à passer des longs mois de traitement du fait des recours dans un premier temps à la médecine traditionnelle. Ce qui, de l’avis du secrétaire, docteur Florent Anicet Lekina, constitue une source de paupérisation pour la famille. « Contrairement à ce que les gens ne savent pas, du point de vue de la mobilisation des moyens, ce que les gens ne savent pas, c’est que les fractures tuent plus que le paludisme, la tuberculose et le VIH réunis ensemble. Dans la distribution des moyens, on nous parle beaucoup de ces pathologies-là qui font beaucoup de bruit » relève-t-il. Et d’ajouter, « C’est pour ça qu’on dit que la traumatologie et les légions traumatiques sont une épidémie silencieuse ».
Pendant ce cours, les médecins issus de tous les départements de la région de l’Adamaoua ont été initiés au traitement non opératoire des fractures de membres les plus courants. Le traitement non opératoire des fractures de membres, selon l’association camerounaise pour l’ostéosynthèse, est une approche médicale qui vise à guérir les fractures sans recourir à une intervention chirurgicale.
Insuffisances des ressources humaines
Selon les membres de cette association, le Cameroun compte moins de 100 chirurgiens-orthopédistes et traumatologues, avec une inégale répartition. Ce qui rend la prise en charge des cas de traumatisme plus difficile, d’où la formation la remise à niveau de ceux qui interviennent dans les soins dans les différentes formations sanitaires. « A l’Ordre National des Médecins, on va estimer à tous les traumatologues du Cameroun qui vont aller autour de 60-70 à peu près. Maintenant, ça, ce sont les traumatologues, rien que d’une grande ville comme Yaoundé ».
Comme les autres régions, l’Adamaoua a reçu son premier chirurgien orthopédiste traumatologue ces derniers jours, grâce au Centre Hospitalier Régional. Entre-temps, les accidents de la voie publique sont légions. Du coup, beaucoup font recours à la médecine traditionnelle. Ce qui appelle des actions du ministère de la santé publique par l’affectation de ces spécialistes dans les hôpitaux de la région afin de traiter efficacement les traumatismes.
Par Jean Besane Mangam
REACTIONS
« Ce que les gens ne savent pas, c’est que les fractures tuent plus que le paludisme, la tuberculose et le VIH réunis ensemble »
Les traumatologues font face à beaucoup de réalités, des réalités de terrain mais surtout des réalités dans la pratique.
Voilà, les problèmes dont nous faisons face sont deux grands problèmes, deux grands autres. D’abord, un problème d’éducation. C’est-à-dire que la formation en traumatologie reste encore confidentielle. Il n’y a pas suffisamment de personnes formées qui sont capables de reconnaître ce qu’il y a à faire et de pouvoir poser le geste qu’il faut au bon moment et pas à tout. Ça c’est la première chose parce qu’on dit que l’éducation c’est un pouvoir. Donc quand les gens seront mieux formés, on aura fait un grand pas. Même le fait de savoir que ceci c’est quelque chose de compliqué, que je dois évacuer, c’est déjà le malade qui a gagné parce que vous avez derrière reconnu le danger. Ça fait pour reconnaître le danger, il faut être formé, ça c’est la première chose. La deuxième chose, c’est que contrairement à ce que les gens ne savent pas, du point de vue de la mobilisation des moyens, ce que les gens ne savent pas, c’est que les fractures tuent plus que le paludisme, la tuberculose et le VIH réunis ensemble. Dans la distribution des moyens, on nous parle beaucoup de ces pathologies-là qui font beaucoup de bruit. Par contre, ce que la fracture nous fait est plus grave mais c’est sans bruit. C’est pour ça qu’on dit que la traumatologie et les légions traumatiques sont une épidémie silencieuse. Et ce sont ces deux aspects. Si les pouvoirs publics pouvaient reconnaître que nous sommes déjà en termes de traumatologie, dans un problème de santé publique. Parce que vous allez voir que les qui sont touchés par les problèmes de traumatologie, c’est le range d’âge qui est productif de 18 à 40 à 45 ans. Ça va être la personne qui est donc active, qui part au danger. Le moto-taximan, l’abatteur d’arbres, c’est lui qui travaille, c’est lui qui va se faire mal. Et quand il s’est fait mal, c’est toute la cellule familiale qui est touchée parce que c’est lui qui rapportait quelque chose à la maison. Et maintenant, lui déjà étant un petit travailleur, classe moyenne, et d’habitude c’est que la première génération la souffle pour faire sortir la deuxième génération pour qu’elle ait une meilleure vie. Si la personne qui devait sortir la deuxième génération dès qu’elle est KO, ça signifie que la deuxième génération repart dans un cycle de pauvreté et on part dans un cercle vicieux dont on ne sort jamais. C’est pour ça qu’on le soigne et qu’il peut revenir au travail pour tirer les gens qui sont en bas pour qu’eux, la deuxième génération, aient une meilleure vie. C’est pour ça que c’est très important. On a donc ce problème d’éducation, on a ce problème de santé publique. Et si on pouvait résoudre ces deux problèmes-là, vous allez voir que ça va s’améliorer rapidement. Bon, les statistiques exactes, je ne les ai pas. Mais quand on regarde dans les associations des traumatologues et à l’Ordre national des médecins, on va estimer à tous les traumatologues du Cameroun qui vont aller autour de soixantaines, soixante, soixante-dix à peu près. Maintenant, ça, ce sont les traumatologues, rien que d’une grande ville comme Yaoundé, ils viennent de Douala pour que ça soit vraiment pris en charge. Mais maintenant, le Cameroun est en face avec des endroits reculés un peu partout, avec qui on a les mêmes problèmes, les mêmes accidents, les mêmes problèmes dont on est encore très loin. C’est pour ça que moi, je dis que le spécialiste, c’est celui qui sait reconnaître ce qu’il y a à faire. Ce n’est pas forcément une histoire de que, oui, comme il a fait la formation spécifique, c’est pour ça qu’il est spécialiste. L’infirmier, comme on les a en salle là, qui va reconnaître que ça, c’est une fracture ouverte et qui va la laver, qui va la laver, faire un bon pansement et dire que mettre ses antibiotiques, mettre son antidouleur et être préparé à l’évacuation, pour moi, c’est un spécialiste parce qu’il est en train de faire notre travail. S’il ne fait pas ça, quand tu vas nous retrouver à Yaoundé, c’est pour qu’on te fasse juste l’imputation. Le plateau technique, il est toujours de deux normes, c’est-à-dire plateau technique humain et plateau technique. Et ça, c’est les moyens, c’est-à-dire que les moyens, c’est nous les hommes qui les donnons. C’est-à-dire que si on décide que cette histoire de traumatos, ça nous fait déjà trop d’ennuis, c’est l’État qui est tout, l’État a tout entre ses mains. Quand l’État décide de résoudre un problème pour les citoyens, ça devient un détail. Donc, la décision, elle doit être politique. Autant on a dit la protection maternelle et infantile, paludisme, tuberculose, rien ne nous interdit de dire lésion traumatique.
INTERVIEW
« Nous sommes là pour commencer à sensibiliser les médecins et canaliser vers les CHR. Dès que les CHR auraient pris sa fonction normalement, on n’aurait plus besoin d’évacuer des fractures sur Yaoundé ».
Vous êtes à Ngaoundéré pour une activité qui est liée à votre corps de métier. Pourquoi vous tenez cette activité aujourd’hui à Ngaoundéré et sur quoi elle porte cette activité ?
Merci pour la question posée et l’intérêt que vous portez à ce cours. L’objectif de ce cours est de se rapprocher avec les praticiens. En réalité, c’est de rentrer proche de la communauté pour leur apporter deux ou trois choses. Premièrement, pouvoir identifier les fractures. Deuxièmement, savoir les conditionner, c’est-à-dire les stabiliser. Et enfin, choisir le mode de traitement le plus adapté à ces fractures-là. Parce que les fractures sont variées, sont multiples, mais déjà savoir qu’identifier quelles sont les fractures qui sont simples, qu’on peut prendre facilement en charge dans l’environnement où on est. Les fractures qui ont fort potentiel de complications, qui sont difficiles à soigner, qui nécessitent un transfert vers l’hôpital de région ou bien des chirurgiens qui peuvent vous prendre en charge. Et enfin, des fractures pour lesquelles il faut évacuer vers des centres beaucoup plus spécialisés, notamment dans les grandes métropoles. Donc voilà un peu, c’est le but de notre visite ici. Et on se rend compte que de toutes ces fractures-là, les deux tiers peuvent se faire prendre en charge sur place, mais il faut seulement capaciter les médecins, le personnel soignant qui est autour de la région. Et une fois qu’ils sont capacités, ils peuvent soigner les deux tiers de ces fractures. Donc il ne va rester qu’un tiers qui pourra soit être pris en charge dans des structures un peu plus organisées, toujours dans la région ou alors être référé dans les centres, dans les grandes métropoles, comme on les appelle.
L’un de vos intervenants a insisté tout à l’heure sur l’harmonisation des usages, des lexiques pour faciliter les prises en charge. Que ce soit facile, que ce soit un praticien, que ce soit à Kousseri ou à New York. Est-ce que ça s’inscrit dans ce cadre des cours et les enseignements que vous dispensez ?
Effectivement, ça fait partie des options de l’enseignement. Il faut que quand vous communiquez avec un autre collègue, un autre collaborateur, quand vous lui dites que c’est une fracture de l’os du bras, c’est-à-dire de l’humérus, qu’il comprenne sans avoir vu la radio. C’est pour ça qu’on a instauré un système d’algorithmes alphanumériques qui permet d’identifier chaque fracture du corps humain. Et on va les initier à cette méthode-là, qui est une méthode simple. Ça paraît être un peu difficile, mais c’est une méthode simple. On a donné des chiffres, des numéros, aux os et selon le type de lésion, c’est-à-dire de fracture ou de solution de continuité qu’on a sur l’os, on attribue un chiffre et une lettre et ça permet donc d’avoir la classification. C’est très simple et la référence de ces classifications se base sur les radios. Pour faire ces classifications, il faut qu’on ait les radios. Le problème aussi, n’ayant pas des centres de radiographie, de radiologie partout, parce que pour classer, selon cette norme-là, il faut la radio. Mais ça fait partie des instruments, puisque même sans radiographie, on peut déjà immobiliser le membre, identifier si la fracture est fermée ou ouverte et l’envoyer faire la radio avant d’atteindre la classification. Le but aussi, c’est d’enseigner cette façon de communiquer, ce langage technique de la spécialité.
On a une quarantaine de praticiens qui participent à l’atelier. Qui sont-ils? D’où viennent-ils?
Alors, les 40 participants sont des professionnels de santé de niveaux variés. Nous avons des médecins, des chirurgiens, des médecins généralistes, des techniciens supérieurs en soins, des infirmiers et quelques infirmiers qui sont dans les services de chirurgie, les majors de bloc et consorts. Ces 43, cette quarantaine de professionnels sont choisis et ils sont maillés dans toute la région pour pouvoir apporter des solutions, chacun dans la région où ils se trouvent, dans la zone où ils se trouvent.
Les programmes de santé au Cameroun sont connus et sont tributaires en général de la pauvreté, mais aussi de la mal information. Est-ce qu’aujourd’hui, dans votre corps de métier, qui fait face aux tradipraticiens, quel est le message pédagogique que vous pouvez destiner envers les patients, mais surtout pour les autres praticiens à travers le pays?
Le message, il est simple. Quand on est tombé, on a une lésion, on n’arrive plus à marcher du fait d’un traumatisme, d’une chute, quelconque. Il faut d’abord aller dans une formation sanitaire pour identifier ce qu’on a comme problème. Après identification, maintenant, il y a des choses simples qu’on peut traiter sur place, ou alors, c’est-à-dire non opéré, ou alors, si ça nécessite une prise en charge beaucoup plus relevée, on oriente vers les centres qui peuvent prendre en charge. Mais il faut d’abord identifier. Identifier veut dire aller à l’hôpital, faire une radiographie du membre concerné. Dès que la lésion est identifiée, on peut maintenant choisir le mode de traitement. Voilà ce qu’on recommande. Maintenant, on ne dit pas qu’il faut exclure la bio-médicine, les tradipraticiens. On devrait les intégrer dans la prise en charge, et d’où l’idée nous vient, de faire comme les gynécologues ont fait avec les matrones, les accoucheuses, sauf que c’est un système qui doit être mis en place, c’est une politique de santé qui doit être globale. Donc, nous sommes prêts à collaborer avec tout ce monde-là dans un cadre bien régi, parce qu’il n’y a pas que du négatif là-bas. Ils apportent des soins de santé, mais il faut qu’on collabore dans le cadre de régler des problèmes de base, des fractures.
La médecine se modernise, les pratiques aussi, les hommes qui la pratiquent. Quels sont vos projets d’avenir dans l’association que vous avez en vue de permettre que tous les camerounais puissent avoir le soin qu’ils méritent?
Alors, notre association vient appuyer les efforts du gouvernement et ça rejoint ce que le gouvernement est en train de faire. Vous allez vous rendre compte que dans chaque région, on est en train de construire des hôpitaux régionaux des CHR, qui en réalité sont des micro-CHU, qui sont des petits centres hospitaliers universitaires, parce que là-bas, on aura toutes les spécialités de très haut niveau, y compris les spécialités de cette association-ci. Donc, ces CHR ont pour vocation de régler cette médecine de très haut niveau, mais délocalisée dans les régions. Donc voilà ce que le gouvernement a mis et nous, nous sommes là pour commencer à sensibiliser les médecins et canaliser vers ces CHR. Dès que les CHR auraient pris sa fonction normalement, on n’aurait plus besoin d’évacuer des fractures sur Yaoundé. Il y aura des spécialistes, orthopédistes aux CHR pour opérer, traiter ces fractures et exceptionnellement pour arriver à Yaoundé, ces profils de patients.
Propos recueillis par Jean Besane Mangam