Le Cameroun, comme de nombreux pays africains, est confronté à une hausse des maladies mentales. Pour mieux comprendre ce phénomène, nous avons rencontré le Dr Toguem Michael, psychiatre réputé en service de à la polyclinique Idimed à Douala.
Dans cet entretien exclusif, il nous éclaire sur les causes des maladies mentales, les défis de la prise en charge au Cameroun et les solutions à envisager.
Le Dr Toguem Michael appelle à une prise de conscience collective sur les enjeux de la santé mentale au Cameroun. Selon lui, il est urgent de renforcer les moyens alloués à la psychiatrie, de démystifier les maladies mentales et de promouvoir une culture de la prévention. P8-9
Qui est Docteur Toguem (parcours académique, professionnel et expérience) ? Peut-on avoir un aperçu et les atouts de la clinique dans laquelle vous exercez ?
Je suis médecin psychiatre. J’ai fait mon cycle de médecine générale à l’université des Montagnes à Bangante. J’ai fait ma spécialisation à l’université de Nairobi au Kenya et je suis éditeur pour le journal Global Mental Health qui publie en Angleterre. Je suis également auteur en herbe. J’ai mon premier livre qui va paraitre dans 5 mois. Il sera qui sera publié avec John Hopkins aux Etats Unis et va parler de santé mentale en zone urbaine en Afrique. Je suis membre de la société internationale dont la East African Psychiatric association ; African Society of neurophramacology ; International society of Electroconvulsivotherapie therapy and Neurostimulation.
Quid de la Polyclinique Idimed ?
Actuellement je suis en service à la polyclinique Idimed à Douala Bonapriso. Dans cet hôpital on a mis sur pied un service de psychiatrie de référence. Je ne pense pas qu’il y a un service de psychiatrie comme celui-ci en Afrique centrale en termes de qualité. On apporte beaucoup d’éléments distinctifs. Si vous allez sur les réseaux sociaux, vous allez voir les commentaires des patients qui sont passés par là, en termes de qualité de traitement. Cela est le fruit de plusieurs innovations qu’on a apporté dans ce service et y a des innovations qui sont difficiles à expliquer, la plus palpable c’est l’electroconvulsivothérapie, il s’agit d’une technique qui permet de soigner des personnes que les médicaments de la psychothérapie n’ont pas pu soigner. Pour le moment je suis le seul à pratiquer cette technique en Afrique subsaharienne francophone. Notre service est ouvert 24/24h, on hospitalise, on consulte, on fait des psychothérapies et tout ce qui est nécessaire pour un service de psychiatrie.
En plus d’être médecin praticien, vous êtes également chercheur et enseignant en santé mentale, sur quoi sont essentiellement basés vos travaux de recherche ?
Mes travaux ont porté sur le système de santé mentale au Cameroun, la consommation de drogue par les enfants de la rue à Yaoundé, les travaux aussi sur la contraception, et la santé mentale des médecins.
Vous êtes psychiatre, chercheur en santé mentale, pour les profanes que nous sommes, en quoi consiste votre travail ?
Le psychiatre est un médecin qui s’est spécialisé dans le coté mental de l’être humain. C’est ce qu’on appelle le coté spirituel de la personne. Comme il y en a d’autres qui se spécialisent dans le cœur et d’autres aspects de l’humain.
Coté recherche, nous essayons de comprendre le monde qui nous entoure en ce qui concerne la psychiatrie. C’est-à-dire coté psychiatrique, s’il y a des questions qu’on ne comprend pas, je peux aider à les comprendre. S’il y a des problèmes auxquels on ne trouve pas des solutions, je peux aider à développer des solutions pour ces problèmes. A titre d’exemple il y a une solution que j’ai pu développer. En 2022, j’ai publié un article qui faisait une proposition sur le système de santé mentale qu’on pourrait mettre sur pied au Cameroun, pour résoudre les problèmes qu’on a avec la prise en charge chez les patients souffrant de maladie mentale au Cameroun. Si les décideurs trouvent que ces solutions sont convenables, ils pourraient m’inviter à les implémenter.
Quelles sont les causes des maladies mentales en général, touchent-elles une catégorie de. Personnes en particulier ?
Pour qu’une maladie mentale survienne, il faut que trois facteurs entrent en jeu. Il y a d’abord des facteurs génétiques. Nos gênes peuvent nous rendre susceptibles d’avoir les maladies mentales, il y a aussi des gênes qui peuvent nous protéger contre d’autres maladies mentales.
En plus, il y a l’environnement. Par exemple, quelqu’un peut être dans un environnement qui peut le pousser à la dépression. Par exemple certaines personnes qui vivent dans les régions en guerre au Cameroun ont développé une dépression à cause de la situation qui sévit de ce côté. Mais ce ne sont pas toutes les personnes vivant dans ces régions qui ont développé une dépression. Cela veut dire que c’est l’inter action entre la situation dans ces zones et leurs gênes qui a donné lieu à la dépression.
Le dernier facteur c’est notre capacité à gérer le stress. Ce qu’on appelle l’auto régulation. Si on a deux personnes qui ont les mêmes gênes et qui sont exposés à une situation de stress au travail. De ces deux personnes, il y a une qui a un ami chez qui elle peut se confier sur ce qui lui arrive. Et que l’autre n’a personne à qui parler. Celui qui n’a personne à qui parler peut développer une dépression ou une autre maladie.
Les maladies mentales sont donc causées par la dynamique de ces trois facteurs : les gênes, l’environnement et notre capacité à gérer le stress.
L’une des causes des maladies mentales est la consommation des substances dites stupéfiantes, pouvez-vous nous faire l’état des lieux de la consommation des stupéfiants chez les jeunes au Cameroun et des personnes touchées par les maladies mentales à cause de la prise de ces substances ?
Pour le moment on n’a pas les chiffres précis en matière de consommation des stupéfiants au Cameroun. Mais on peut estimer qu’une personne sur 10 chez les adultes est dépendante d’une substance. Ce qui est alarmant. Les drogues les plus consommées bien évidement, la première c’est l’alcool, suivi du tabac, le cannabis, et il y a beaucoup facteurs qui contribuent à cette consommation. La dernière peut avoir des complications psychiatriques. C’est-à-dire donner lieu à des maladies mentales. Mais la dépendance n’est qu’une parmi les maladies mentales qui peuvent subvenir suite à la consommation des drogues.
Qu’est ce qui peut pousser une personne à devenir dépendant des substances comme la drogue?
Ce qui peut pousser quelqu’un à devenir dépendant des substances, il y a plusieurs facteurs. En ce qui concerne l’alcool, il y a des gênes qui prédisposent à la dépendance à l’alcool. Pour le moment, on a identifié ces gênes que dans le cas de l’alcool.
Un autre facteur qui contribue à la dépendance à ces substances c’est l’oisiveté qui est intimement liée à la pauvreté. Quand on n’a rien à faire on peut facilement tomber dans tout ce qui se présente plus facilement autour de nous et ce sont les drogues. En plus il y a beaucoup de maladies mentales qui peuvent pousser à la dépendance à la consommation des drogues. C’est pour cela qu’il ne faut pas facilement accuser quelqu’un qui consomme la drogue, parce que la drogue peut être juste une conséquence d’une autre maladie. Il faut malheureusement déplorer qu’au Cameroun, ces drogues sont très présentes. Les gens ne se rendent même pas compte que l’alcool c’est une drogue. On est arrivé au point où on fait des publicités pour des drogues et cela contribue à mal informer les gens et les amène à ne pas comprendre le danger que cela représente.
Comment faire lorsqu’on a un proche qui est dépendant de la consommation des drogues? Peut-on l’aider à en sortir ?
Quand on a un proche qui est dépendant à la drogue, il faut l’approcher et lui demander si effectivement il consomme de la drogue ? Comment est-il arrivé là ? Vous devez être là pour l’aider et non pour l’accuser. Essayer de voir s’il y a des moyens pour l’aider à sortir de là. Si vous voyez qu’après un bout de temps, ça ne marche pas, là il faut rencontrer un spécialiste, soit le psychiatre, soit le médecin qui a une expérience en santé mentale, soit l’infirmier psychiatrique.
Peut-on sortir de la dépendance aux drogues ?
Oui on peut sortir de la consommation de la drogue, mais au Cameroun pour le moment, l’infrastructure qui sert à résoudre ce genre de problème est très limitée. Raison de plus de ne pas s’exposer à ce genre de chose. On aurait pu s’en sortir avec de meilleures infrastructures pour gérer les dépendances.
Dans l’imagerie populaire, on semble dire que certaines maladies mentales sont d’origine mystique, faut-il croire à cette idée ?
Beaucoup de gens pensent justement que les maladies mentales sont d’origine mystique, c’est un débat dans lequel en tant que psychiatre je n’aimerai pas m’aventurer. Mais ce qu’il faut savoir c’est que peu importe, que soit d’origine mystique, spirituelle etc, ça reste soignable à l’hôpital. Car si quelque chose arrive, on ne va pas vous tenir pour responsable. A l’hôpital vous avez des garanties et vous pouvez aller vérifier ce qu’on fait si c’est normal. Et c’est pour cela que moi je conseillerai à tout le monde de commencer à l’hôpital. Mais si vous êtes convaincu que c’est d’origine mystique et que c’est le marabout ou le pasteur qui va régler cela, allez-y, mais si ça ne marche pas là-bas, souvenez-vous que l’hôpital reste une option
En combien de temps et à environ quel coût, peut-on traiter une maladie mentale à la polyclinique Idimed ?
Pour soigner un problème de santé mentale à la polyclinique Idimed, je dirai que c’est au cas par cas. Il y a des gens dont le traitement va couter 15 000 FCFA il y en a à qui le traitement va couter beaucoup plus cher. Bref c’est au cas par cas. Il y va de même pour la durée du traitement.
Interview réalisée par Joseph Essama
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